Le Roman de Renart
Genre : oeuvre classique, Moyen-âge
Siècle : 13ème
Niveau scolaire : Cinquième
Siècle : 13ème
Niveau scolaire : Cinquième
Résumé : Le Roman de Renart (vers le XIIIe siècle)
À une époque beaucoup plus récente, les sages et les savants, qui voulaient faire servir les faits d’expérience courante à la perfection morale des individus, s’emparèrent de ces humbles contes et les modifièrent à leur façon. Ainsi se formèrent les apologues édifiants, ancêtres de la fable, qui, née dans l’Inde, illustrée par des Grecs comme Ésope et Babrius, par des Latins comme Phèdre, trouva sur notre terroir, grâce au génie de La Fontaine, son complet épanouissement.
Le Roman de Renart dérive de ces deux sources. Ses origines sont à la fois populaires et savantes. On ne s’étonnera guère que nous ne sachions presque rien des traditions populaires. Elles semblent avoir été très répandues dans notre moyen âge, et spécialement dans la France du Nord-Ouest, du Nord, et du Nord-Est. Les versions savantes nous sont mieux connues. Si, d’Ésope à La Fontaine, la fable n’eut pas toujours la chance de se voir traitée par de puissants génies, du moins une foule d’esprits estimables et même quelques écrivains de talent ne laissèrent pas que de s’y adonner. De bonne heure, nos clercs en firent des recueils en latin qu’on s’empressa de traduire en français. Cependant, s’il est incontestable que la littérature savante eut sa part d’influence dans la formation du Roman de Renart, il ne faudrait pas toutefois faire aux récits satiriques, allégoriques ou moraux des clercs la part trop belle. L’objet même du récit, la querelle entre le goupil Renart et le loup Ysengrin, est d’origine nettement populaire. Cette fiction, vieille comme le monde, a couru les chaumières de tous les continents. On la trouve dans tous les folklores. Il n’est pas de tradition plus « humaine », au sens le plus propre du mot.
Tel qu’il nous est parvenu, le Roman de Renart est composé de vingt-sept « branches » ou récits différents. Quoi qu’en puisse faire préjuger ce titre de roman, ces récits ne forment pas une intrigue suivie et fortement liée. Les sujets qu’ils traitent sont divers ; ils sont écrits dans des dialectes différents, et leur valeur littéraire est sensiblement inégale. Seules les aventures du goupil Renart, ses ruses et ses méfaits, son jugement par le roi Noble, le lion, suffisent à établir entre eux une certaine unité.Nous devons nous résoudre à ignorer l'homme qui eut l'heureuse hardiesse de faire du goupil Renart le centre d'un véritable cycle épique. Nous savons seulement qu'en France, vers le milieu du XIIe siècle, les gestes où de pareilles aventures étaient contées jouissaient d’une extrême popularité. En effet, l'historien Guybert de Nogent nous apprend que l'évêque de Laon Gaudry, le même qui eut à soutenir en 1112 contre la commune de cette ville une lutte si acharnée et si sanglante, avait coutume d'appeler un de ses ennemis : Isengrin. « C'est, ajoute le narrateur, le nom que certains donnent au loup. » Toujours est-il qu’au XIIe siècle, un clerc flamand fit sous le titre d'Ysengrinus une compilation en latin de tous ces récits épars, et, vers l'an 1180, un poète alsacien de talent, Henri le Glichezare, composa dans un allemand d'une parfaite pureté, et dans un style souvent élégant, une œuvre intitulée : Reinhart Fuchs. Ce poème est une traduction très fidèle des branches françaises qui existaient dès cette époque. Mais les auteurs français du roman sont demeurés dans l'oubli. Trois seulement d'entre eux se sont fait connaître : Richard de Lison, Pierre de Saint-Cloud, et un certain prêtre de la Croix-en-Brie. Les autres, qui étaient légion, sont demeurés anonymes.
La principale originalité littéraire du Roman de Renart consiste dans la concentration des caractères distinctifs de chaque espèce animale en un individu unique, porteur d'un nom significatif, toujours semblable à lui-même dans les branches les plus diverses, et auquel les auteurs, quels qu’ils soient, qui se sont succédé, ont, par une discipline éclairée, conservé les mêmes passions, les mêmes allures, les mêmes ridicules. Ainsi élevés à la hauteur de types éternels, les héros du roman participent d'une immortalité prodigieuse. Pas plus que l'Orgueil, que la Ruse, que la Couardise qu'ils représentent, ils ne sauraient mourir. Ils ont beau se débattre au milieu des aventures les plus rudes ; meurtris et sanglants, raccourcis de la queue, diminués d’une oreille, zébrés d’une balafre, mais toujours vivants et toujours prêts à de nouvelles équipées, ils échappent à la dent des chiens, ou aux mâchoires des pièges, ou au gourdin des vilains. Personne ne saurait prendre au sérieux leurs déconvenues. Quoi qu’il arrive, on sait bien qu’ils reparaîtront toujours. Comme des acteurs de théâtre, ils attendent à l’écart que d’autres camarades aient joué leur scène devant le public. Vienne leur tour, ils surgiront à nouveau de la coulisse, salués d’applaudissements par le spectateur qui les connaît et qui les aime. Et en effet, nous les aimons, ces animaux, parce que, sous leurs traits, nous nous reconnaissons nous-mêmes. L’esprit de l’homme, par une tendance innée, ramène tout à soi. C’était, dans l’évolution du genre, une loi nécessaire. À plus forte raison était-ce un instinct irréfléchi de ces écrivains du moyen âge, incapables, par jeunesse d’esprit, d’imaginer quoi que ce soit qui fût étranger à leurs goûts, à leurs préoccupations ordinaires, qui les portait à donner aux traditions primitives cette allure anthropomorphique qui particularise le Roman de Renart. Subjectivisme heureux, d’ailleurs, et qui devait exister pour que cette comédie des bêtes nous intéressât à l’égal d’une comédie humaine. Mais la mesure, en pareille matière, était difficile à garder. Par exagération, non seulement en prêtant aux animaux des sentiments trop purement humains, mais même en les environnant des objets familiers de la vie humaine, on risquait de tomber dans la pire invraisemblance. Les vieux auteurs ne surent pas se garder de ce défaut. Ils nous montrèrent Renart à cheval, brochant sa monture à grands coups d’éperon, attablé à jouer de l’argent aux échecs avec son ennemi Ysengrin. Aussi la critique, quand elle s’exerce sur une œuvre pareille, a-t-elle un sûr critérium d’appréciation. Les parties les meilleures du Roman sont celles où les écrivains ont su trouver exactement le point d’équilibre, où ils ont su minutieusement doser l’apport des traditions anciennes et la part d’allégorie qui devait réveiller l’intérêt d’un lecteur de jour en jour plus exigeant.
Œuvre complexe, enfantine par la trame naïve et simple de ses histoires, profondément sérieuse par les enseignements qui y sont contenus, le Roman de Renart a de quoi satisfaire les familles d'esprits les plus opposées. Il comporte, comme la fable, une indication morale, bien vague en vérité, mais assez claire pour ne point passer inaperçue, et qui dénonce l’humble condition sociale de ceux qui le composèrent. Renart, sans cesse victorieux dans ses entreprises contre les animaux plus puissants et plus forts que lui, tels que Noble le lion, Brun l’ours, Ysengrin le loup, échoue toujours contre les humbles. Il trouve ses maîtres dans la personne de Tybert le chat, dans celle de Frobert le grillon, et dans celle de la mignonne mésange.
Mais les petites gens qui composèrent le Roman de Renart ne s'en tinrent pas à la satisfaction toute platonique de montrer dans leur œuvre la force jouée et la faiblesse triomphante, leurs attaques se firent souvent plus positives et plus précises. Qu’est-ce donc en effet que le sujet même du roman, si ce n’est une Iliade de la ruse opposée aux épopées valeureuses et chevaleresques, pleines de beaux dévouements, et sonores du froissement des épées ? Qu’y voyons-nous apparaître, si nous savons lire entre les lignes ? Nous y voyons sévèrement jugé et rudement bafoué l'appareil brut, compliqué, et somme toute inefficace de la justice féodale, nous y voyons dénoncé l'état d'anarchie que de pareilles coutumes entraînent : guerres interminables entre les barons ; mépris que ceux-ci, bien retranchés dans leurs châteaux, pourvus de munitions et de vivres, ont pour le pouvoir légitime du roi, leur suzerain. Enfin, lorsque Renart essaie d'esquiver le châtiment mérité de ses crimes, c’est sous le manteau de la religion qu'il se réfugie. Pillez et tuez à loisir ; après quoi, faites-vous moine ou ermite : la bure protège contre les justes sanctions et les justes vengeances. Tout est oublié, tout est pardonné, pourvu qu’on prie des lèvres un Dieu qu’on renie dans son cœur.
Les plus grandes beautés de cette œuvre ne résident point dans la couleur, mais dans le mouvement. On y retrouve toute la finesse rustique de notre race : l’esprit du seuil des portes villageoises, de la cuisine et de l’enclos. Le Roman de Renart : c’est une plante agreste de France, sans grand éclat, sans grand parfum, mais balancée au vent sur une tige souple et solide et tenant par de fortes racines à la glèbe natale.
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